L'échec professionnel


Je n'ai pas d'emploi, ce qui pour beaucoup signifie que je ne fais rien de ma vie. Or, c'est complètement faux ! On me reproche souvent de ne pas savoir ce que c'est "la vie professionnelle", de devoir travailler pour vivre, de devoir se lever chaque matin, contre sa volonté, aller faire quelque chose qu'on n'aime pas forcément parce qu'il le faut si on ne souhaite pas finir à la rue, etc. Et ça, c'est entièrement vrai !

Je n'ai jamais gardé un emploi plus de deux ans, et encore, je dirais que ça tourne plus autour des un an, un an et demi, pas plus, parfois moins. Pareil pour les formations. Je n'en ai terminé qu'une et n'ai eu aucun débouché par la suite. J'ai travaillé dans la vente directe et par téléphone, j'ai été serveuse, réalisatrice publicitaire, j'ai commencé des formations dans le graphisme, comme RH, comme libraire...
Je ne suis jamais allée au bout, je n'ai jamais réussi à m'intéresser à mes formations ni réussi à tenir le coup suffisamment longtemps pour aller au bout.
Sauf une. Une formation en tant que Concept Artiste de jeux vidéo. Mais une fois le diplôme en poche, ce n'était plus ce que je voulais, d'autant que je m'étais lancée pour apprendre à faire du concept art et qu'on ne nous avait appris qu'à faire de la modélisation 3D. Déception. Et culpabilité parce que mon mari avait déboursé une grosse somme pour me permettre de suivre cette formation. C'est ça et le fait que je la suivais avec ma meilleure amie qui m'a permis d'aller jusqu'au bout, sinon, en cours de route, je pense que j'aurais, une nouvelle fois, tout laissé tomber.

Dans tous les cas, je me retrouve sans rien, pour ainsi dire, car ce n'est pas un diplôme de Concept Artiste en jeux vidéo qui permet réellement de trouver du travail. Je n'aime pas chercher du travail, mais j'aime encore moins en trouver. Je n'aime pas les entretiens d'embauche, je n'aime pas ce jeu de rôle qui se met en place pour tenter de se vendre en prétendant que c'est le métier de nos rêves alors qu'on a juste besoin d'un boulot pour gagner du fric. Je n'aime pas tout ça.

Je n'ai pas de difficulté à trouver du travail en soi, mais je ne fais rien pour, car c'est terriblement angoissant pour moi, d'en trouver, de m'engager. Et j'ai beaucoup de mal à jouer un rôle. Ou plutôt, je sais parfaitement le jouer, mais c'est pesant, terriblement pesant. Tout est faux dans le monde du travail, du moins dans le monde du travail quand on n'a pas de diplôme.

Et puis il y a les autres, qui demandent si les recherches de travail avancent, qui sont désolés pour moi quand je dis que je n'ai rien trouvé, qui me propose des idées lumineuses genre "J'ai le père d'un ami qui cherche quelqu'un pour répondre au téléphone de sa boîte. Ce n’est pas super gratifiant, mais c'est payé et facile, la bonne planque !"... Alors je réponds "Oh, ouais, super, merci, tu me donnes le contact ?"... Mais je n'en veux pas. La simple idée d'être engagée pour répondre au téléphone m'angoisse ! Mais si je le dis, ce sont les autres remarques qui ressortent : "En fait, t'as pas envie de bosser, tu profites du système, tu vis aux crochets de la société, heureusement que t'as ton mari qui bosse pour deux, la vie ce n'est pas rien foutre, faudra bien t'y mettre un jour, t'es vraiment flemmarde, t'as vraiment aucun projet..."
Cette situation, je la connais par cœur. Alors je fais croire que ne pas trouver de travail me pèse énormément, ce qui n'est pas tout faux, car il est vrai que j'aimerais avoir du plaisir à travailler, ou au moins l'endurance et la force de base, comme un peu tout le monde. J'aimerais être financièrement autonome, mais ce n'est pas le cas.

Mon mari m'a souvent demandé ce qui serait le boulot parfait pour moi. J'avais deux réponses :
  • M'occuper du stock d'une librairie Payot (pour y avoir travaillé en tant que libraire, je connais le système) : on commence avant que les clients n'arrivent, on ouvre les paquets d'arrivage, on enregistre chaque livre dans la base de données du stock et on place les livres sur un chariot que les libraires sont chargés de ranger dans les bibliothèques. Une fois tous les livres entrés dans le logiciel du stock, on a fini. Les horaires tournent autour de 8h-12h/14h-16h, les contacts clients sont rares et souvent "accidentels" (parce que l'enregistrement du stock se fait dans un bureau à part).
  • M'occuper du tri de documents divers dans une entreprise au hasard : commencer tôt le matin, mais ne pas finir trop tard l'après-midi, ne pas avoir a collaborer avec des collègues ni à répondre à des clients, ne côtoyer que du papier et des classeurs, etc.
Il se trouve que mon mari a fini par me trouver un petit boulot "parfait", correspondant à la deuxième possibilité. Un poste de secrétaire-comptable dans un petit cabinet de psychothérapie.
Lundi 2 mars 2015, au soir, je me suis rendue à l'entretien d'embauche, on me proposait même l'éventualité de travailler depuis chez moi sitôt que le logiciel trukmuch le permettrait. Les horaires, c'était 30%, répartis sur trois matinées, peut-être quelques extra si besoin. En plus de ça, un bus faisait la correspondance directe entre le bas de mon immeuble et la petite bâtisse où se trouvaient les locaux. Le lien était vraiment sympa, la vue magnifique, le travail simple...
Mais je ne voulais pas de se travail.
J'ai tout fait pour bien paraître, faisant croire que je voulais se travail plus que tout, que j'étais enthousiaste à chaque proposition, chaque possibilité d'évolution, chaque détail !
L'entretien à durer deux heures, deux longues heures à jouer la comédie, à sourire, à assurer que je m'engageais sur du [très] long terme parce que ça me plaisait déjà. Le chef, le Dr S.E., m'a demandé quand j'étais libre pour commencer, j'ai annoncé "de suite" alors que j'ai horreur de ça. J'ai toujours eu besoin d'un laps de temps pour me préparer psychologiquement à commencer un nouveau travail. Le Dr S.E. prend note de tout ça, et me dit qu'il me recontactera.
À ce moment, mi-déçue, mi-soulagée, je me dis que c'est fichu, que je n'aurai pas la place.

Le lendemain, je reçois un mail de la part du Dr S.E..
Mais je ne le vois pas, je n'ouvre pas mes mails.
Je ne le vois que le lendemain, le mercredi 4 mars.
J'ai eu le post, et le Dr. S.E. souhaite que je commence le soir même, enfin, sur le mail "dès demain après-midi à partir de 16h".
Et c'est l'effondrement.
La panique, la crise, je me mets à pleurer, je ne voulais pas de ce travail, ça me fait peur ! D'autant qu'on m'avait dit que je travaillerais les lundis, jeudis et vendredis matins. Pas les mercredis en fin d'après-midi ! Je suis en colère autant qu'angoissée, j'annonce à mon mari que j'ai eu le poste, mais lui est content, il se dit que ce sera parfait. Et ça aurait dû l'être, mais malgré ça, je suis terrorisée.
Une fois remise - plus ou moins -, je réponds au mail en disant qu'il n'y a pas de souci (tu parles !), que je me présenterai à 16h au cabinet. Il me reste moins de sept heures pour me préparer psychologiquement.
Ce n'est clairement pas assez !

Une fois sur place, je constate que je n'ai pas de place de travail, pas de bureau, pas de fauteuil, que je vais devoir travailler sur un plateau mobile qui se trouve dans une armoire murale dans l'entrée qui sert de salle d'attente. L'angoisse totale ! Au fil du temps, j'arrive à demander à avoir un lieu pour travailler, mais je me retrouve à occuper les bureaux des psy les jours où ils sont absents, promenant toutes mes affaires dans un petit meuble mobile...
Au début, j'étais efficace, je suis toujours très efficace. Je travaille vite, je fais les choses proprement, etc. Mais très vite, je profite de cette efficacité pour faire autre chose à côté, ce qui me plait, écrire. Je me refuse de signaler le fait que j'effectue trop d'heures en fonction de ma charge de travail.
Payé à ne rien faire, tant pis.

Chaque matin, pendant un an et demi, je me lève à contrecœur, sans aucune motivation. Je n'ai pas réussi à créer de lien avec les autres personnes, peu nombreuses (cinq), qui travaillent dans le cabinet. Il n'y a pas de cafète, juste une machine à café dans le hall. Je n'y vais jamais. Quand j'entends quelqu'un dans le hall, j'évite de sortir de mon bureau, je ne veux voir personne. Je fais toutes mes copies à la première heure, dans l'espoir de ne croiser personne, et de nombreuses journées passent ainsi, sans que je ne voie personne. J'en suis satisfaite, mais en même temps, ça me pèse, je ne me sens pas utile ni valorisée. Mais ai-je envie d'être valorisée dans ce milieu, à ce post ? Non, pas vraiment. En fait, ça m'est égal. je ne me plais pas à cette place, je veux partir, je veux quitter mon emploi.
Mais pour quel motif ?

Quand mon entourage a appris que j'avais trouvé du travail, ils étaient heureux pour moi, réjouis, ils me félicitaient. Ils me demandaient des nouvelles du boulot, apparemment heureux de savoir de quoi me parler (parce que quelqu'un qui ne travaille pas n'a forcément rien à raconter).
Comment leur dire que je ne travaille plus parce que... Je ne voulais plus ?

Puis je suis tombée enceinte. J'avais toujours voulu être maman au foyer si un jour j'avais un enfant alors j'en ai parlé avec mon mari qui savait parfaitement qu'en prime, je n'étais pas heureuse à mon travail. Alors il a accepté. Je cumulais beaucoup de fatigue et cela se ressentait sur mon travail. Pour moi, j'étais déjà loin, j'avais déjà terminé. On était d'accord avec mon mari, une fois le bébé né, je quitterais le boulot, alors je ne me donnais plus la peine de faire bien. Jusqu'au jour où j'ai eu un entretien avec mon chef qui avait remarqué que je me laissais aller.
J'ai toujours eu beaucoup de facilité à être persuasive, même avec les arguments les plus nuls possible. J'ai réussi à sauver les meubles, mais pas ma place. Qu'importe. J'étais libre et heureuse !

Le monde du travail, c'est quelque chose que je n'arrive pas à intégrer. Heureusement, mon mari l'a compris et l'accepte. Ça ne lui pose aucun problème que je sois à la maison pour m'occuper de la petite et que je ne sois absolument pas dans l'optique de travailler un jour. On verra quand notre fille sera grande, mais pour l'instant, ce n'est pas dans mes projets.
Mon statut est souvent critiqué. J'ai "l'excuse" d'être mère au foyer pour justifier le fait que je sois sans emploi, mais cela ne durera pas toujours. Et je vais devoir à nouveau être confrontée aux remarques et critiques que "la vie ce n'est pas rien faire"...
Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que je ne fais pas rien, bien au contraire. J'ai des passions et des occupations, des IS (intérêts spécifiques) qui me prennent énormément de temps et que quand je n'aurai plus à m'occuper de ma fille et que je pourrai m'y consacrer à 100%, alors ce sera encore différent.

Non je n'ai pas d'emploi, et non je ne sais pas ce que c'est que de travailler pour s'acheter sa nourriture et ne pas finir à la rue. Parce que le monde du travail est une source de panique pour moi. Alors on me soupçonne souvent d'exagérer, de jouer la comédie, d'être trop flemmarde, d'aimer vivre aux crochets des autres... Non. Je ne suis pas inactive, je ne souhaite pas ne rien faire et j'aimerais une autonomie financière, mais pas dans ces conditions. Je n'y arrive pas, c'est plus fort que moi.

2 commentaires:

  1. Je m'y retrouve tellement. Pour moi le travail c'est juste histoire d'avoir de quoi vivre, financièrement. Et encore je n'y arrive pas. Je fais tellement de choses quand je ne travaille pas, je ne me suis jamais considérée comme inactive, très loin de là ! Je cherche désespérément le truc qui pourrait me "plaire" (= ne pas me faire tomber en dépression tout de suite). La recherche universitaire... mais trop de pression pour y arriver, trop de concurrence, trop d'arrangements informels, je n'ai même pas encore réussi à obtenir un financement pour ma thèse. La relecture/correction de documents (s'ils sont intéressants), à domicile, mon boulot de rêve : souvent free-lance et précaire, peu payé voire plus existant, se joue aussi davantage sur des contacts parce que pas de diplôme requis. Et enfin, je me reconnais dans le goût pour ranger, classer des choses... expériences en librairie et bibliothèque et là aussi ce que j'aime c'est ranger et enregistrer les livres. À la limite donner des conseils de lecture mais seulement si j'ai de l'énergie, qu'il n'y a pas de pression/obligation, et tant qu'on reste uniquement sur les livres (je ne sais pas faire le bavardage d'usage pour accrocher le client à un niveau personnel).

    Bref, je te souhaite de continuer à remplir ta vie de tes intérêts spécifiques et de tes passions, un jour peut-être tu réussiras à détourner ca de manière professionnelle... ou pas, si tu ne le souhaites pas :)

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    1. Je n'avais même pas réalisé que je visais des emplois de classement... C'est en te lisant que je prends conscience de ce trait qui ressort ici et qui, effectivement, m'aurait permis de "m'apaiser" (je ne trouve pas d'autre terme plus approprié).

      J'ai fait un autre article sur le souci relationnel dans le domaine professionnel, expliquant que j'ai pris conscience que dès qu'il y a une notion de social, je fuis, je suis mal, je panique, je ne gère plus. Je tiens un moment, mais je finis toujours par craquer. Je n'ai jamais tenu une seule année complète. Mon records : Une journée ! J'ai appelé le lendemain matin pour dire que c'était impossible pour moi. Service, restauration, j'ai pas pu. Ça faisait pas 10 minutes que j'étais là, on m'a envoyé nettoyer les tables de la terrasse, j'étais en larmes ! xD Sérieusement !

      Donc bon, je crois que si un jour je perce dans un métier, c'est via des créations dont je ne gère pas le stock (comme par exemple avec l'écriture de romans, via une maison d'édition ou en auto-édition avec un système d'impression à la demande), ou alors avec des achats de créations numériques (photos, illustrations, etc.) mais bon... ça me semble simpliste comme idée, pourtant, ce serait le rêve !

      J'espère que tu trouveras aussi ce qui te plait et te permet de bien vivre sans trop te demander d'efforts. Ce n'est pas évident... Mais je pense que ça peut être possible avec de la chance ! Je croise les doigts pour toi !

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